Anabase (Xénophon)

œuvre de Xénophon

L’Anabase (du grec ancien ἀνάϐασις / anábasis, « la montée [vers l'intérieur des terres en venant de la mer[1],[2]] ») est une des plus célèbres œuvres de l'auteur grec Xénophon, composée au IVe siècle av. J.-C.

Anabase (Xénophon)
Auteur Xénophon
Pays Grèce
Date de parution 370 av. J.-C.

Elle raconte la campagne, en -401, des Dix-Mille, un corps expéditionnaire de 10 000 mercenaires grecs (Spartiates principalement) engagés par Cyrus le Jeune dans sa lutte contre son frère Artaxerxès II, roi de Perse, puis leur retraite vers l'Hellespont, avec la traversée en hiver du haut pays d'Arménie (d'une altitude moyenne de 1 000 m avec des cols à plus de 2 000 m[note 1]), avant d'atteindre Trapezonte (actuelle Trabzon) sur les rives du Pont-Euxin.

Leur périple se déroule donc en trois temps : 1 300 km de Sardes jusqu'aux environs de Babylone: à Counaxa, ils livrent la bataille de Counaxa; puis 1 000 km, pour le retour vers le nord, jusqu'à Trapezonte, sur les rives du Pont-Euxin; enfin, une marche de 1 000 km le long du Pont-Euxin pour rejoindre l'Hellespont et finalement Pergame.

Dans cet ouvrage divisé en sept livres et qualifié par Monique Trédé de « journal de route d'un reporter aux armées », les qualités littéraires de Xénophon se manifestent clairement[3].

Contexte modifier

En 401 av. J.-C., Cyrus le Jeune, le second fils de Darius II, se soulève contre son frère aîné Artaxerxès II afin de lui ravir le trône. Fort d'une armée de plusieurs centaines de milliers d'hommes, incluant une unité de 10 000 mercenaires grecs recrutés par ses hôtes hellènes, il affronte Artaxerxès II à la bataille de Counaxa, en Mésopotamie à une centaine de kilomètres de Babylone. Cyrus y trouve la mort, son corps d’armée est vaincu alors que les mercenaires grecs sont, eux, vainqueurs des troupes qui leur sont opposées.

Désormais seuls en pays hostile, les Dix Mille tentent de négocier avec Artaxerxès II et son intermédiaire le satrape Tissapherne. Ce dernier gagne la confiance des généraux grecs Cléarque et Mennon mais il leur tend un piège et les fait assassiner. Conduits par Xénophon, les Grecs réussissent à échapper aux troupes royales malgré leur manque de cavalerie. Ils rejoignent l'Arménie puis les côtes méridionales du Pont-Euxin à proximité de Trapézonte. Arrivés dans la région des Dardanelles (l'Hellespont), ils s'engagent dans des luttes intestines entre Thraces.

Titre et subdivisions de l'ouvrage modifier

Adrien Guignet, La retraite des Dix Mille. Musée du Louvre, s.d.

L'anabase, qui est donc une montée vers l'intérieur des terres, et qui donne son titre au livre, ne s'applique en réalité qu'aux six premiers chapitre du livre I. La fin de ce premier livre (chapitre 7 à 10) conte la bataille de Counaxa[3], après quoi l'ouvrage se poursuit par une katabasis, soit une descente vers le Pont-Euxin et Trapézonte, suivie d'une parabasis, c'est-à-dire une marche durant laquelle les soldats longent la mer jusqu'à Byzance[4].

La division en sept livres n'est pas de Xénophon; introduite bien après lui, il n'en a jamais eu connaissance. En outre, à partir du deuxième, chaque livre est précédé d'un résumé des événements exposé depuis le début de l'ouvrage (sauf le VI). Par la suite encore, les livres ont été subdivisés en chapitres, et les chapitres en paragraphes[4].

Résumé modifier

La route suivie par les Dix-Mille, de Sardes à Counaxa (au nord de Babylone) puis vers le nord à Trabizonde, et le retour vers l'Hellespont, à Pergame.

L’Anabase est riche en descriptions de peuples exotiques parfois autant hostiles aux Grecs qu'aux Perses, de combats difficiles, de rapports humains conflictuels. Surtout, cet épisode stigmatise la faiblesse de l'Empire perse, ce qu’Agésilas II et plus tard Alexandre le Grand n’oublieront pas. L’Anabase a pu servir de comparaison à des événements de l’histoire. Ainsi, la retraite de Russie par la Grande Armée de Napoléon peut être comparée à cet épisode de l’Antiquité grecque.

On l'a dit, le découpage en livres et chapitres n'est pas de Xénophon. Ne sont repris dans cet article que les passages significatifs.

Le Livre 1 présente la levée de l'armée par Cyrus Le Jeune, la marche de l'armée sur le roi de Perse, Artaxerxès et bataille de Counaxa. On arrive bientôt à Issos, où l'on trouve la flotte de Cyrus le Jeune et Chirisophe avec sept cents hoplites (I, 4). Le chapitre 7 est consacré à la bataille de Counaxa. Les mercenaires grecs mettent en fuite les troupes perses qui leur sont opposées ; mais Cyrus, s'élançant à l'attaque de son frère, est tué d'un coup de javelot. La fin du livre donne un portrait de Cyrus le Jeune (I, 9) et termine la description de la bataille (I, 10)

Au Livre 2, les mercenaires grecs apprennent la mort de Cyrus le Jeune (II.1) et entament des pourparlers avec Artaxerxès en vue d'une trêve qu'ils obtiennent. Des généraux grecs sont assassinés.

Au Livre 3, les soldats élisent alors de nouveaux chefs (dont Xénophon) et entament leur retraite, durant laquelle ils sont harcelés par les Perses jusqu'aux montagnes cardouques.

Le Livre 4 présente la traversée du pays des Cardouques, puis de l'Arménie où les soldats doivent affronter les rigueurs de l'hiver, puis du pays des Taoques, des Colques avant d'arriver enfin à Trapézonte au bord de la mer Noire. Ces provinces que traverse l'armée sont hostiles aux Grecs qui doivent combattre sans cesse des tribus locales. Les Grecs sont trahis par un satrape qui leur avait promis de l'aide. Les tensions se font plus fortes entre les généraux grecs . Mais enfin arrivés en vue du Pont-Euxin, ils organisent des sacrifices et des jeux en l'honneur des dieux.

Les montagnes d'Arménie, des cols à 2 000 mètres, deux mètres de neige en hiver

Dans le Livre 5, on voit les Grecs errer le long de la mer jusqu'à Cotyôra; ils veulent rentrer chez eux par la mer mais ne trouvent à embarquer sur aucun bateau ; s'ensuit une série de pillages pour survivre

Au Livre 6, on veut élire Xénophon chef unique, mais celui-ci, respectant les dieux, refuse. C'est alors Chirisophe qui est choisi. On s'embarque finalement pour aller à Héraclée, mais la navigation est difficile: les Grecs errent sur la mer et subissent de nombreuses pertes avant d'arriver à Chrysopolis.

Dans le Livre 7, les Grecs parviennent à Byzance (VII, 1); Xénophon s'entend avec Seuthès II, roi de Thrace, qui a besoin d'eux pour reconquérir son royaume (VII, 2) et ceux-ci passent à son service à l'exception de Néon (VII, 3). Les Thynes sont soumis (VII, 4) mais Seuthès ne paye que vingt jours de solde au lieu d'un mois. Les Grecs arrivent à Salmydessos (VII, 5). Après quoi, Xénophon accepte de conduire l'armée en Asie Mineure (VII, 7), et les Grecs parviennent finalement à Lampsaque et enfin Pergame où Thibron prend le commandement de l'armée et l'incorpore dans ses propres troupes grecques pour faire la guerre aux satrapex persex Tissapherne et Pharnabaze.

Postérité modifier

De l'Antiquité au XIXe siècle modifier

Les Romains apprécièrent Xénophon, d'une manière générale, car il était d'une lecture aisée et riche de conseils pratiques[5]. Plutarque rapporte aussi[6] que Marc-Antoine, lors de sa difficile campagne contre les Parthes, se serait écrié à plusieurs reprises « Oh! Les Dix Mille! », montrant par là à ses propres soldats (qui comprirent sans doute sans problème l'allusion) tout de son admiration pour ces mercenaires[5].

Néanmoins, à Rome et plus tard durant la Renaissance, on apprécia surtout la Cyropédie, puis, au XVIIIe siècle, les Mémorables, et c'est surtout à partir du XIXe siècle que l'Anabase fut considéré comme la principale œuvre de Xénophon. Ainsi, des personnages comme Léon Tolstoï, Edward B. Pusey ou encore Lord Byron ont relevé que ce livre avait été pour eux une lecture importante. Cet intérêt montre, selon M.A. Flower, que cet ouvrage continue, à travers le temps et l'espace, à parler à l'imagination et à la pensée de générations de lecteurs et ce parce que, derrière la simplicité d'une narration purement factuelle, il offre des lectures riches et variées[5].

Au XXe siècle modifier

D'autre part, ce récit a été inspiré différents auteurs, dans la littérature, le cinéma, les jeux vidéos.

Littérature et cinéma modifier

L'Anabase a inspiré le roman Les Guerriers de la nuit (1965) de Sol Yurick, qui est adapté au cinéma par Walter Hill en 1979, ainsi que le roman Les Neuf Noms du Soleil (2019) de Philippe Cavalier[7] ou encore le roman L'hoplite de Jean-Luc Marchand (2020)[8].

L'écrivain italien Mario Rigoni Stern a aussi donné une sorte d'anabase dans son roman paru en 1953, Il sergente nella neve, traduit en français sous le titre Le Sergent dans la neige[note 2], consacré à la retraite de Russie des chasseurs alpins italiens qui étaient enrôlés aux côtés de la Wehrmacht durant la Seconde guerre mondiale. L'auteur qualifiait de « petite anabase dialectale » ce roman, dont Italo Calvino a dit qu'il « devait rester, dans son genre, comme un livre exemplaire »[9].

"Anabase" est le nom de code de l'opération que mène l'Empereur de l'Humanité à bord du Vengeful Spirit, lors du siège de Terra, de la saga l'Hérésie d'Horus, issue de l'univers de Warhammer 40 000[réf. nécessaire].

Jeu vidéo modifier

Le scénario de la campagne sur la Grèce antique du jeu Age of Empires est basé sur le récit de Xénophon.

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Voir Arménie#Géomorphologie.
  2. Denoël, 1954; rééd. 10/18, 1995, 190 p.

Références modifier

  1. Yvonne Vernière, « Xénophon (426 av. J.-C. env.- 354 av. J.-C.) » Accès payant, sur universalis.fr (consulté le )
  2. Emmanuèle Blanc et Laurence Plazenet (trad. par E. Blanc; choix des textes, introd. et notes par L. Plazenet), Anthologie de la littérature grecque de Troie à Byzance. (VIIe s. av. J.-C. - XVe s. ap. J.-C.), Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », , 935 p. (ISBN 978-2-070-35923-3), p. 443-446
  3. a et b Suzanne Saïd, Monique Trédé et Alain Le Boulluec, Histoire de la littérature grecque, Paris, PUF, coll. « Quadrige Manuels », 2019 [4e éd. mise à jour], 724  (ISBN 978-2-130-82079-6), p. 203-208
  4. a et b Masqueray 1959, p. 6, vol. I
  5. a b et c Flower 2012, p. 11
  6. Plutarque, Vies parallèles, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, p. 1708 (« Antoine », chap. XLV)
  7. « Les neuf noms du soleil », sur www.anne-carriere.fr (consulté le )
  8. La Compagnie littéraire, « Jean Luc Marchand présente L’hoplite, un livre phare pour les passionnés de l’histoire de Sparte », sur compagnie-litteraire.com, (consulté le ).
  9. Calvino 2018, p. 35

Annexes modifier

Bibliographie modifier

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Traductions modifier

  • Œuvres complètes, trad. Pierre Chambry, Garnier-Flammarion, 3 vol., 1967 :
    • T. II : Anabase. - Banquet. - Économique. - De la chasse. - La République des Lacédémoniens. - La République des Athéniens. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • L'Anabase. Le Banquet, trad. Pierre Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1996, p. 23-250.
  • (grc + fr) L'Anabase ou l'Expédition des Dix-Mille (trad. et édition critique par Denis Roussel et Roland Étienne), Paris, Classiques Garnier, , 593 p. (ISBN 978-2-406-06118-2, présentation en ligne)
  • Anabase (texte établi et traduit par Paul Masqueray), Paris, Belles Lettres, (1re éd. 1930 (t. I); 1931 (t. II)), XX, 292 p. (t. I); 374 p. (t. II) (ISBN 978-2-251-00332-0 et 978-2-251-00333-7)
  • Les Dix-Mille ou l'Anabase (trad. Pascal Charvet et Annie Collognat), Paris, Phébus, , 624 p. (ISBN 978-2-752-91229-9)
  • Consulter la liste des éditions de cette œuvre

Études modifier

  • Jeannine Böeldieu-Trevet, « Dire l'autre et l'ailleurs ? Récit, guerre et pouvoir dans l'Anabase de Xénophon  », Dialogues d'histoire ancienne,‎ 2010 (suppl. 4.2), p. 351-369 (lire en ligne, consulté le )
  • Pierre Chambry, « Notice sur l'Anabase » dans : L'Anabase. Le Banquet, Paris, Garnier-Flammarion, 1996 [1936], p. 9-21.
  • Italo Calvino (trad. de l'italien par Jean-Paul Manganaro et Christophe Mileschi), Pourquoi lire les classiques, Paris, Gallimard, coll. « Folio », , 416 p. (ISBN 978-2-070-45115-9), « Xénophon, L'Anabase », p. 30-38. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (en) Michael A. Flower, Xenophon Anabasis or the Expedition of Cyrus, Oxford, Oxford University Press, , xvi, 242 p. (ISBN 978-0-195-18868-4). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (en) Michael A. Flower (Ed.), The Cambridge Companion to Xenophon, Cambridge, Cambridge University Press, , xx+520 p. (ISBN 978-1-107-65215-6, présentation en ligne)
  • Paul Masqueray, « Introduction, Notice et Notes », dans Xénophon, Anabase, vol. I et II, Paris, Belles Lettres, . Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (en) Tim Rood, The sea! The sea! The Shout of the Ten Thousand in the Modern Imagination, London - New York, Duckworth Overlook, (1re éd. 2004), x + 262 p. (ISBN 978-0-715-63571-1, présentation en ligne)

Liens externes modifier