Assassinat de Sadi Carnot

assassinat du 5e président de la République française en 1894

Assassinat de Sadi Carnot
Image illustrative de l’article Assassinat de Sadi Carnot
Une du quotidien Le Petit Journal, où un illustrateur a reconstitué l'assassinat du président Carnot.

Localisation Lyon (France)
Cible Sadi Carnot
Coordonnées 45° 45′ 45″ nord, 4° 50′ 09″ est
Date
Vers 21 h 15
Type Assassinat
Armes Poignard
Morts 1
Auteurs Sante Geronimo Caserio
Mouvance Anarchisme

Carte

L'assassinat de Sadi Carnot, président de la République française en exercice, a lieu à Lyon le , à quelques mois de la fin de son mandat et à la suite de l'adoption des deux premières « lois scélérates » visant le mouvement anarchiste français.

Évènement déterminant de l'histoire de l'anarchisme en France, cet attentat a pour conséquence l'adoption par la Chambre des députés de la dernière et de la plus marquante des « lois scélérates » interdisant tout type de propagande anarchiste en France. Le texte sera abrogé en 1992.

Contexte modifier

Présidence de Sadi Carnot modifier

Portrait du président Sadi Carnot (1887).

Sadi Carnot, né le à Limoges, est le fils de Lazare Hippolyte Carnot, le petit-fils de Lazare Carnot (surnommé « le Grand Carnot »), le neveu du physicien Sadi Carnot, le frère de Marie-Adolphe Carnot et le père d'Ernest Carnot. Il est haut fonctionnaire de carrière et a assumé de nombreuses charges politiques et gouvernementales : député de la Côte-d'Or, préfet de la Seine-Inférieure, puis sous-secrétaire d'État aux Travaux, il fut nommé ministre des Travaux publics, puis des Finances. À la suite de la démission de Jules Grévy, mis en cause dans le scandale des décorations, Sadi Carnot devance Jules Ferry au premier tour de l'élection présidentielle de 1887, puis l'emporte au second tour, le , face au général Félix Gustave Saussier.

Montée de l’anarchisme modifier

Dans un contexte d'agitation syndicale et anarchiste caractérisée par la stratégie dite de « propagande par le fait » (une partie des lois relatives à la liberté individuelle et aux délits de presse visant à réprimer cette agitation, qualifiées de lois scélérates par l'opposition socialiste, venaient d'être votées), Sadi Carnot, président de la République depuis 1887, est particulièrement haï dans les rangs anarchistes. Il est l'une des cibles principales du mouvement anarchiste : il avait refusé de gracier Ravachol, Auguste Vaillant, guillotiné le pour l'attentat de la Chambre des députés du , et Émile Henry[1].

À Lyon, plusieurs attentats d’anarchistes ont eu lieu quelques années avant l’assassinat de Sadi Carnot, conduisant notamment au « procès des 66 ».

Le Président Carnot avait déjà été visé par deux attentats :

  • le 5 mai 1889, alors qu'il se rend à Versailles pour fêter le centenaire des états généraux de 1789, un magasinier de la Marine, Jean-Nicolas Perrin, tire une fois ; Perrin souhaitait protester contre sa mutation au Sénégal (des six cartouches du revolver, trois — dont celle tirée — contenaient de la poudre sans balle, les trois autres des balles mais pas de poudre) ;
  • le 14 juillet 1890, l'inventeur Martial Jacobs, pour protester d'avoir été spolié de certaines de ses inventions, tire en l'air (encore des balles à blanc) au passage du président avenue de Marigny[2].

Sante Geronimo Caserio modifier

Sante Geronimo Caserio en 1894.

Sante Geronimo Caserio est né le 8 septembre 1873 à Motta Visconti en Lombardie (Italie), au sein d’une famille rurale très nombreuse. Quand il était encore enfant, son père, batelier, est mort de la pellagre dans un asile, une maladie provoquée par la mauvaise alimentation (dans cette région les paysans et plus généralement le peuple se nourrissaient à l'époque presque exclusivement de maïs). Ne voulant pas être à la charge de sa mère, qu’il aime beaucoup, il part pour Milan où il est apprenti boulanger dès l'âge de douze ans. Il doit donc quitter sa famille très tôt, mais reste étroitement en contact avec elle.

Il devient anarchiste à une période où ces idées sont en accroissement en Italie. Comme lors du procès de Rome, qui a lieu après l’arrestation de 200 personnes considérées comme anarchistes à la suite de la manifestation du 1er mai 1891. Sante crée même à Milan un petit groupe anarchiste « A pe » (c’est-à-dire Sans rien) avec lequel il distribue aux chômeurs du pain et des brochures devant la bourse du travail. En 1892 il est condamné, à Milan, à huit mois de prison pour distribution de tracts antimilitaristes lors d’une manifestation. Ses activités politiques lui valent une condamnation, puis l’exil d’Italie. En tant que déserteur il rejoint la Suisse à Lugano. Il se rend ensuite à Lyon, le 21 juillet 1893, où il est portefaix pendant un moment. Il trouve ensuite à exercer son métier d’ouvrier boulanger à Vienne, puis à Sète à la boulangerie Viala. C’est dans cette dernière ville qu’il a l’idée d’accomplir « un grand exploit ». Il n’est donc âgé que de vingt ans lors de son exécution, le 16 août 1894.

Déroulement modifier

Voiture présidentielle dans laquelle Sadi Carnot est poignardé.
Poignard utilisé par Caserio
Assassinat de Sadi Carnot, représenté dans Le Monde illustré.

Banquet au palais du Commerce modifier

Le , à l'occasion de l'Exposition universelle, internationale et coloniale qui se déroule au parc de la Tête d'or à Lyon, le président Sadi Carnot participe à un banquet organisé en son honneur par la chambre de commerce au palais du Commerce, place des Cordeliers. Dans son discours, il semble indiquer qu'il ne sera pas candidat à un second mandat lors de l'élection présidentielle prévue à la fin de l'année.

Avant d’assister à une représentation d'Andromaque par la Comédie-Française, au Grand-Théâtre de la ville - un événement réservé à un public très restreint - le chef de l’État prend la décision de saluer la population locale à bord de la voiture présidentielle, puis de rentrer quelques minutes à la préfecture du Rhône pour se reposer et se changer[3]. Alors que Sadi Carnot souhaite faire le trajet à pied, le docteur Antoine Gailleton, maire de Lyon, le convainc de monter dans un landau très bas[4].

Départ du cortège présidentiel modifier

Vers 21 h, le cortège présidentiel, escorté par des cavaliers, quitte le banquet par une issue secondaire. L'itinéraire prévoit un passage par la rue Sainte-Bonaventure (devenue depuis rue Sadi-Carnot), puis par la rue de la République jusqu'à la place des Terreaux. Le président est assis sur la banquette arrière du côté droit du landau. À sa gauche, se trouve le général de brigade Léon Borius, ancien chef de la Maison militaire du président ; le général Nicolas Joseph Voisin, gouverneur militaire de Lyon, est en face du président, et le docteur Antoine Gailleton, maire de Lyon, à la droite de ce dernier.

Blessure du président modifier

Un quart d'heure plus tard, alors que Sadi Carnot salue une foule compacte et vient de faire écarter un cavalier lui gênant la vue, la voiture présidentielle s'engage rue de la République. C’est à ce moment que l’anarchiste italien Sante Geronimo Caserio monte sur le marche-pieds et blesse le président en le frappant au foie à l'aide d'un couteau au manche bombé présentant une lame damasquinée de 16,5 centimètres[5]. Le président s'effondre en arrière sur le siège, portant la main à sa blessure et prononçant « Je suis blessé ».

Alors que l'entourage et l'escorte du chef de l'État mettent quelques instants à comprendre ce qui vient de se produire, l'assassin n'essaie pas de fuir immédiatement mais court autour de la voiture du moribond en criant « Vive la Révolution ! » puis « Vive l'anarchie ! ». Peu après, il est finalement immobilisé et arrêté par les badauds et les gendarmes. Le député Gaston Doumergue, futur président de la République, est témoin de la scène.

Suites et conséquences modifier

Coma et mort du président modifier

Procession funéraire de Sadi Carnot (, Paris).

Rapidement après les faits, le cortège fait demi-tour et fonce vers l'hôtel de préfecture du Rhône, dans le 3e arrondissement de Lyon, tandis que le docteur Gailleton prodigue les premiers secours au président agonisant. À la préfecture, la plaie est examinée par de nombreux médecins et chirurgiens qu'on a fait venir de la faculté de médecine de Lyon. L'intervention chirurgicale est conduite par le professeur de médecine opératoire et de clinique chirurgicale Antonin Poncet, entouré des professeurs Jean Lépine et Louis Léopold Ollier, Fabre et Michel Gangolphe. Cependant, les chirurgiens ne peuvent venir à bout de l’hémorragie interne. Le président de la République meurt des suites de cette importante hémorragie peu après minuit (décès constaté à 0 h 40) le 25 juin 1894, dans les locaux de la préfecture du Rhône.

Cécile Carnot, veuve du président, refuse dans un premier temps que le corps de son défunt époux ne soit autopsié ; elle se laisse finalement convaincre par Antoine Gailleton, qui invoque l’intérêt national, mais à la condition que l’examen soit effectué par le professeur Ollier. En présence d’une dizaine de professionnels, dont Alexandre Lacassagne, Antonin Poncet, Fleury Rebatel et le médecin personnel du président, François Planchon, le Dr Ollier peut ainsi sonder une plaie de dix centimètres au foie et constater un double sectionnement de la veine porte[6].

Sadi Carnot est le premier président de la République française à mourir en fonction, et le premier à avoir été assassiné. Les funérailles nationales ont lieu le 1er juillet 1894 à Paris, à la cathédrale Notre-Dame. Il est inhumé le même jour au Panthéon, au côté de son grand-père Lazare Carnot.

Émeutes anti-italiennes modifier

Plaque commémorative de l'assassinat de Sadi Carnot (palais du Commerce, Lyon)

Bien que très symbolique, la mort de Sadi Carnot ne remet pas en question la stabilité des institutions républicaines, confortées par les échecs du projet de Troisième Restauration et du boulangisme[7]. Les quatre jours suivant l'attentat sont le théâtre d'exactions contre la communauté italienne de Lyon. Les maisons, magasins et commerces des ressortissants italiens sont incendiés et pillés (les voleurs s'intéressent en particulier aux produits de luxe tels que le chocolat)[8] ; des Italiens sont violentés. L'armée quadrille les rues à partir du 26 juin jusqu'au 5 juillet pour contenir les émeutes, et protège le consulat[8]. 1 300 personnes sont arrêtées, 348 sont jugées en correctionnelle et de nombreuses peines de prison, allant jusqu'à trois mois ferme, sont prononcées[8]. Les dégâts matériels seront mal indemnisés, et ce cinq ans après les faits. Le consulat italien de Grenoble est également mis à sac[8].

Le bilan humain est de trois morts : un policier, deux émeutiers mais aucun Italien. En revanche des milliers d'Italiens quittent la région lyonnaise dès le début des émeutes ; on compte également au moins un suicide d'Italien directement lié aux troubles, un marchand de légumes ruiné par les dégâts subis par son magasin[8].

Vote des lois scélérates modifier

L'assassinat commis par Caserio entraîne le vote par le Parlement de la dernière et de la plus marquante des lois dites « scélérates » visant les anarchistes, dont le but est de compléter l'arsenal répressif contre les menées anarchistes, qui sont privés de tout type de communication. Ce texte sera abrogé en 1992.

Procès de Caserio modifier

L'exécution de Caserio dans Le Progrès illustré.

Sante Geronimo Caserio est jugé en cour d'assises les 2 et 3 août suivants.

Devant le tribunal qui le condamne à mort, il dit entre autres : « Eh bien, si les gouvernements emploient contre nous les fusils, les chaînes, les prisons, est-ce que nous devons, nous les anarchistes, qui défendons notre vie, rester enfermés chez nous ? Non. Au contraire, nous répondons aux gouvernements avec la dynamite, la bombe, le stylet, le poignard. En un mot, nous devons faire notre possible pour détruire la bourgeoisie et les gouvernements. Vous qui êtes les représentants de la société bourgeoise, si vous voulez ma tête, prenez-la. »

Au procès, en effet, Caserio ne tente jamais de renier son geste : « Il n'y a rien de changé en moi, et je referais encore s'il était à refaire l'acte pour lequel je vais être jugé. » Il ne demande pas non plus la pitié du jury. La possibilité lui est offerte de plaider la maladie mentale mais en paiement il aurait dû livrer les noms de quelques complices, il refuse donc (« Caserio est boulanger, pas espion »).

À l'issue du procès, Caserio est condamné à la peine capitale, et guillotiné le à la prison Saint-Paul de Lyon par Louis Deibler. En cellule, pendant qu'il attendait l'exécution, on lui envoie le curé de Motta Visconti pour le confesser, mais il refuse de l'entendre et le chasse. Sur l'échafaud, finalement, un instant avant de mourir, il lance à la foule : « Courage, les amis ! Vive l'anarchie ! ».

Notes et références modifier

  1. Romuald Szramkiewicz et Jacques Bouineau, Histoire des institutions, 1750-1914 : droit et société en France de la fin de l'Ancien Régime à la Première guerre mondiale, Paris, Litec, , 4e éd., XVI-693 p. (ISBN 978-2-7111-2891-4, BNF 36707260), p. 532.
  2. Karine Salomé, Je prie pour Carnot qui va être assassiné ce soir : Un attentat contre la République, 24 juin 1894, Paris, éditions Vendémiaire, , 186 p. (ISBN 978-2-36358-023-8, BNF 42683921, lire en ligne).
  3. Patrick Harismendy, Sadi Carnot : l'ingénieur de la République, Paris, Perrin, , 435 p. (ISBN 978-2262011024, BNF 35765755), prologue.
  4. Edgar Zévort, Histoire de la Troisième République, 1879-1901, vol. IV : La Présidence de Carnot, Paris, F. Alcan, , 396 p. (lire en ligne), p. 297.
  5. Pierre Vayre, « Assassinat de Marie-François-Sadi Carnot à Lyon, le 24 juin 1894 : défi chirurgical et gageure politique d’un martyre », e-mémoires de l'Académie nationale de chirurgie,‎ , p. 22-31 (lire en ligne).
  6. Antonin (1849-1913) Poncet, Blessure, opération, mort de M. le Président de la République française, par M. le Dr A. Poncet,..., (lire en ligne)
  7. Louis Loriot, Des attaques offensantes dirigées contre le président de la République et les citoyens investis d'un mandat électif (thèse), Paris, A. Rousseau, , 94 p. (BNF 30834095).
  8. a b c d et e Michelle Zancarini-Fournel, Les luttes et les rêves : Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Paris, Éditions La Découverte, , 995 p. (ISBN 978-2-35522-088-3, BNF 45182978), chap. 10 (« Paysans, ouvriers nous sommes »), p. 416

Voir aussi modifier

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Bibliographie modifier

  • Alexandre Lacassagne, L'Assassinat du président Carnot, Lyon, Storck, coll. « Bibliothèque de criminologie », , 10 p. (BNF 30706672, lire en ligne).
  • Edmond Locard, Le Crime inutile (affaire Caserio), Paris, Éditions de la flamme d'or,
  • Patrick Harismendy, « L'assassinat du président Sadi Carnot à Lyon (24 juin 1894) », dans Benoît Garnot (dir.), Ordre et délinquance de l'Antiquité au XXe siècle, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1993, p. 357-365
  • Collectif (Association française pour l'histoire de la justice), L'Assassinat du président Sadi Carnot et le procès de Santo Ironimo Caserio : actes du colloque organisé à Lyon le , Presses universitaires de Lyon, , 104 p. (ISBN 978-2729705206, BNF 36684296).
  • Patrick Harismendy, Sadi Carnot : l'ingénieur de la République, Paris, Perrin, , 435 p. (ISBN 978-2262011024, BNF 35765755).
  • Karelle Vincent, « Le régicide en République. Sadi Carnot, 25 juin 1894-Paul Doumer, 6 mai 1932 », Crime, histoire et sociétés, vol. 3, no 2,‎ , p. 73-93
  • Karine Salomé, Je prie pour Carnot, qui va être assassiné ce soir : un attentat contre la République (24 juin 1894), Paris, Vendémiaire, coll. « Chroniques », , 186 p. (ISBN 978-2363580238, BNF 42683921).

Articles connexes modifier