Pelagothuria natatrix

espèce de concombre de mer nageuse (pélagique)
Pelagothuria natatrix
Description de cette image, également commentée ci-après
Pelagothuria natatrix
Classification WoRMS
Règne Animalia
Embranchement Echinodermata
Sous-embr. Echinozoa
Classe Holothuroidea
Ordre Elasipodida
Famille Pelagothuriidae

Genre

Pelagothuria
Ludwig, 1893

Espèce

Pelagothuria natatrix
Ludwig, 1893

Synonymes

  • Pelagothuria ludwigi Chun, 1900

Pelagothuria natatrix, unique représentant du genre Pelagothuria, est une espèce d'holothuries (concombres de mer) abyssales de l'ordre des Elasipodida. Cette holothurie est remarquable car elle vit en nageant en pleine eau, à la manière des méduses avec lesquelles elle partage de nombreuses caractéristiques (on peut conjecturer une convergence évolutive). Son corps est ainsi translucide et surmonté par une ombrelle constituée de tentacules modifiés et unis par un voile. Vivant à très grande profondeur, elle semble se nourrir essentiellement de plancton. Cette espèce, à la répartition probablement cosmopolite, demeure cependant très rarement observée : elle n'a pu être observée in situ qu'à quelques occasions seulement, près de cent ans après sa découverte.

Description et caractéristiques modifier

Observation à 1 400 m de profondeur dans l'océan pacifique central en 2017.

Cette holothurie a un corps translucide, légèrement teinté de violet[1]. Celui-ci est relativement petit et fusiforme, mais il est entouré de deux cercles de grands tentacules. Les premiers, environ une douzaine, sont très longs, unis par un voile et destinés à la natation, à la manière de l'ombrelle des méduses ; dans le prolongement du rayon ventral central, ce voile s'interrompt entre deux tentacules[1]. Les seconds sont plus courts (autour de 2 cm de long) et au nombre de 15 environ. Entourant la bouche, ces derniers sont fourchus et servent à filtrer l'eau pour y piéger le plancton et les particules nutritives qu'elle contient.

Cette holothurie est extrêmement gélatineuse, composée à plus de 90 % d'eau, ce qui lui permet d'avoir un poids très faible dans l'eau, et ainsi de se maintenir en suspension. Il s'agit de la seule holothurie complètement pélagique connue : elle vit en se laissant porter dans la colonne d'eau et ressemble à une méduse, par convergence évolutive, c'est-à-dire en réponse aux mêmes contraintes environnementales[2]. Le corps se tient à la verticale dans la colonne d'eau, bouche tournée vers le haut ; l'ombrelle de tentacules se retrouve ainsi à l'horizontale[2]. Cette holothurie est dépourvue de spicules calcaires et de couronne péripharyngienne[3].


Habitat et répartition modifier

L'observation de cette holothurie est extrêmement rare, mais son aire de répartition semble particulièrement vaste : elle a été observée dans les océans Atlantique, Pacifique et Indien, à des latitudes allant de l'équateur au cercle polaire. Elle semble vivre essentiellement à grande profondeur (entre 200 et 6 776 mètres[1]), même si le descripteur, H. Ludwig, mentionne des observations en surface[4].

Écologie et comportement modifier

Cette espèce est actuellement le seul échinoderme contemporain connu à passer toute sa vie en suspension dans l'eau, sans jamais entrer en contact avec le fond marin[1]. Elle est par conséquent dépourvue de podia, qui sont les organes locomoteurs des holothuries benthiques[1].

L'analyse des contenus stomacaux des spécimens récoltés met en évidence l'absence totale d'éléments nutritifs issus du fond marin, suggérant que cette espèce n'est jamais en contact avec le plancher océanique[1]. Elle semble se nourrir essentiellement de ptéropodes (mollusques pélagiques) et de protistes ciliés[1]. Elle nage la bouche dirigée vers le haut, ses tentacules formant un entonnoir pour piéger le plancton[5].

Ses déplacements semblent en grande partie passifs : elle se laisse dériver en suspension dans l'eau et n'utilise qu'occasionnellement son voile pour une nage active ou dirigée[1].

Découverte et observation modifier

Plusieurs dessins anciens présentant l'animal et son anatomie.
Planche d'illustrations de la description originale. Les spécimens utilisés étant en mauvais état, plusieurs erreurs sont visibles, comme le voile trop court et l'oubli de sa lacune ventrale.

Pelagothuria natatrix a été décrite en 1893 par Hubert Jacob Ludwig, sur la base d'une trentaine de spécimens remontés lors d'une opération de chalutage par l'Albatross entre le Golfe de Panama et les îles Galápagos, entre 605 et 3 350 m de profondeur[1]. En 1900, elle est observée dans l'océan Indien par Carl Chun qui, la pensant nouvelle, la décrit sous le nom de Pelagothuria ludwigi[6], appellation qui sera ultérieurement mise en synonymie avec P. natatrix par Heding en 1950[1].

Il a fallu attendre 1989 pour qu'une mission d'eaux profondes menée aux Galápagos obtienne les premières images in situ de l'animal (à 542 m de profondeur au large de l'Île San Cristóbal), images en noir et blanc et avec une résolution très limitée[1]. John E. Miller et David L. Pawson en tirent néanmoins la matière d'une longue redescription détaillée de cette espèce et de sa famille, publiée en 1990[1].

En 2011, l'expédition scientifique américaine Okeanos Explorer photographie, toujours aux Galápagos, ce que les scientifiques croient d'abord être une méduse inconnue[7], mais le cliché est formellement identifié en 2014 par les experts du Smithsonian Institute Christopher Mah et David Pawson comme une Pelagothuria natatrix[8]. Une seconde observation est réalisée en au large des îles Samoa (à 443 m de profondeur près de l'Île Howland) par la même mission qui ramène cette fois une vidéo en haute résolution de l'animal en train de nager en pleine eau, une première historique[9]. Cette même mission réalise une seconde vidéo de l'espèce début [10], et quelques autres durant la suite de cette mission[11]. En 2022, le nombre d'observations atteignait la centaine[12].


Dessin de Carl Chun pour sa description de Pelagothuria ludwigi, depuis considérée comme synonyme de P. natatrix.

Taxinomie et classification modifier

Enypniastes eximia est l'espèce la plus proche, seule autre représentante de la famille des Pelagothuriidae. Elle est également capable de nager, mais pas de demeurer en suspension dans l'eau indéfiniment.

Hubert Jacob Ludwig crée en même temps, en 1893, l'espèce, le genre et la famille à partir des spécimens récoltés par l'Albatross[4]. Le nom du genre est composé de πέλαγος (pelagos, « la haute mer » en grec) et -θυρια (-thuria contraction de « holothurie »), signifiant donc que cette espèce a des mœurs pélagiques. L'épithète spécifique natatrix signifie « nageuse » en latin. Le nom de la famille est repris sur celui du genre-type.

Pelagothuria natatrix est à l'heure actuelle la seule espèce du genre Pelagothuria, tous les spécimens récoltés dans les trois grands bassins océaniques ayant été déterminés comme identiques par Heding en 1950[1].

Au sein de l'ordre des Elasipodida (qui regroupe des holothuries abyssales très gélatineuses), la famille des Pelagothuriidae ne compte actuellement qu'une seule autre espèce certaine : Enypniastes eximia[13]. Cette holothurie n'est pas pélagique, mais dite « benthopélagique »[2] : elle est pourvue d'un voile analogue à celui de Pelagothuria mais plus court et seulement hémicirculaire, qui lui permet également de s'élever dans la colonne d'eau (parfois très haut et longtemps), mais sa densité finit toujours par la ramener au sol, où elle se nourrit et effectue une grande partie de son cycle de vie[1].

Références taxinomiques modifier

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Bibliographie modifier

  • (de) Hubert Ludwig, « The Holothurioidea », Memoirs of the Museum of Comparative Zoology, reports on a exploration off the west coasts of Mexico, Central and South America, and off the Galapagos Islands, in charge of Alexander Agassiz, by the U.S. Fish commission steamer "Albatross" during 1891, Lieut. Commander Z. L. Tanner, U.S.N., vol. 17, no 3,‎ , p. 1-183 (lire en ligne)
  • (en) John E. Miller et David L. Pawson, « Swimming Sea Cucumbers (Echinodermata: Holothuroidea): A Survey, with Analysis of Swimming Behavior in Four Bathyal Species », Smithsonian contributions to the marine sciences, no 35,‎ (lire en ligne).

Notes et références modifier

  1. a b c d e f g h i j k l m et n (en) John E. Miller et David L. Pawson, « Swimming Sea Cucumbers (Echinodermata: Holothuroidea): A Survey, with Analysis of Swimming Behavior in Four Bathyal Species », Smithsonian contributions to the marine sciences, no 35,‎ (lire en ligne).
  2. a b et c (en) Christopher Mah, « Deep-Sea Swimming Sea Cucumbers and the "most bizarre holothurian species in existence" ! », sur Echinoblog, .
  3. (en) Maria Byrne et Timothy O'Hara, Australian echinoderms : Biology, Ecology and Evolution, CSIRO Publishing, (ISBN 9781486307630, lire en ligne).
  4. a et b (de) Hubert Jacob Ludwig, « Vorläufiger Bericht über die erbeuteten Holothurien », Bull MCZ, vol. 24, no 4,‎ , p. 105-114 (lire en ligne).
  5. (en) Antonina Rogacheva, Andrey Gebruk et Claudia H. S. Alt, « Swimming deep-sea holothurians (Echinodermata: Holothuroidea) on the northern Mid-Atlantic Ridge », Zoosymposia, vol. 7, no 1,‎ , p. 213–224 (ISSN 1178-9913, lire en ligne, consulté le )
  6. (de) Carl Chun, « Aus den Tiefen des Weltmeeres », Schilderungen von der deutschen Tiefsee-Expedition,‎ .
  7. (en) NOAA Okeanos Explorer, « Umbrella jellyfish suspended in the water column », sur photolib.noaa.gov, .
  8. (en) Christopher Mah, « Golden Tickets in the NOAA Photo Library : Rarely seen Pelagic Sea Cucumber », sur Echinoblog, .
  9. (en) « Vidéo montrant Pelagothuria natatrix dans son environnement », sur oceanexplorer.noaa.gov, .
  10. (en) [vidéo] Seconde vidéo sur YouTube d'Okeanos Explorer, datant de mai 2017.
  11. (en) « Pelagic sea cucumber », sur oceanexplorer.noaa.gov.
  12. Helen Scales, « Discovered in the deep: the sea cucumber that lives a jellyfish life », sur The Guardian,
  13. World Register of Marine Species, consulté le 7 avril 2017

Liens externes modifier