Semaine sanglante

épisode final de la Commune de Paris
Semaine sanglante
Description de cette image, également commentée ci-après
Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, Bataille du cimetière du Père-Lachaise (1871), Bordeaux, musée d'Aquitaine.
Informations générales
Date -
(7 jours)
Lieu Paris
Issue Victoire du gouvernement de Versailles
Belligérants
Drapeau français République française (Gouvernement de Versailles) Drapeau de la Commune de Paris Commune de Paris
Commandants
Patrice de Mac Mahon
Paul de Ladmirault
Ernest Courtot de Cissey
François Charles du Barail
Félix Douay
Justin Clinchant
Joseph Vinoy
Gaston de Galliffet
Charles Delescluze
Paul Antoine Brunel
Émile Eudes
Émile-Victor Duval
Napoléon La Cécilia
Jarosław Dąbrowski
Walery Wroblewski
Louis Rossel
Raoul du Bisson
Forces en présence
120 000 à 130 000 hommes[1],[2] 20 000 à 170 000 hommes[3],[4]
Pertes
400 morts[4]
3 000 blessés[4]
~ 50 à 100 otages fusillés[5],[6]
5 700 à 15 000 morts[7],[8]
(dont 2 000 à 4 000 au combat[9],[7] et 1 400 à plusieurs milliers de prisonniers fusillés[10],[7])
43 522 prisonniers[11]

Campagne de 1871 à l'intérieur

Batailles

La Semaine sanglante, du dimanche au dimanche suivant , désigne la période la plus meurtrière de la guerre civile de 1871 et l'épisode final de la Commune de Paris, au cours de laquelle l'insurrection est écrasée et ses membres exécutés en masse. Elle s'inscrit dans le cadre de la campagne de 1871 à l'intérieur menée par le gouvernement de Versailles contre les communes insurrectionnelles établies ou en projet que connaissent plusieurs grandes villes françaises. Celles-là refusent la capitulation française face à Bismarck et prônent alors une république française basée sur la démocratie directe plutôt que sur la démocratie représentative.

Ayant fait plusieurs milliers de morts et de fusillés du côté des communards, la Semaine sanglante constitue un des épisodes de guerre civile majeurs de l'histoire de France dont le souvenir s'inscrit dans la culture du mouvement ouvrier international, de la gauche française, du mouvement anarchiste et plus largement chez les partisans de la démocratie directe.

Origines modifier

Forces en présence modifier

Du côté du gouvernement, 120 000[1] à 130 000[2] hommes de l'armée de Versailles prennent part à l'offensive.

Côté communard, la Garde nationale estime disposer de 170 000 hommes en armes, dont 80 000 dans les compagnies de combat, 10 500 en garnison dans les forts au sud et plusieurs milliers de réservistes dans les casernes[3]. Cependant pour l'historien Robert Tombs : « la totalité des forces ne furent jamais disponibles simultanément »[3]. Si la garde nationale compte dans ses rangs des soldats compétents, expérimentés et déterminés, d'autres font preuve de tiédeur, n'étant « pas profondément convaincus par une idéologie révolutionnaire »[3]. Elle souffre également d'indiscipline, avec notamment quelques cas spectaculaires d'ivrognerie[3]. L'état-major se rend aussi compte que de nombreux bataillons exagèrent leurs effectifs, parfois pour percevoir des soldes, des équipements ou des rations supplémentaires, dont les surplus sont revendus[3]. D'après le communard Gaston Da Costa, la Commune ne pouvait compter que sur 20 000 combattants actifs, ce qui semble assez crédible pour Robert Tombs : « mais il faut rappeler que le niveau d'implication variait beaucoup : certains se contentèrent de poser quelques pavés sur les barricades tandis que d'autres combattaient jour après jour »[4].

Déroulement modifier

Dimanche modifier

Ce dimanche après-midi, les troupes versaillaises du général Douay pilonnent et assiègent le saillant que forme le rempart du Point-du-Jour. C'est alors qu'un piqueur des Ponts et Chaussées, Jules Ducatel, monte sur le bastion 64, entre la porte d'Auteuil barricadée et la porte de Saint-Cloud, pour les avertir que ce point n'est plus gardé et que la voie est libre.

Les Versaillais occupent les fortifications d'où ils échangent quelques coups de feu, puis le terrain jusqu'à la ligne de chemin de fer de petite ceinture. Le Conseil de la Commune, qui est en train de juger Cluseret, n'envoie aucun renfort, malgré la demande qu'avait formulée Dombrowski qui commande le secteur.

Selon Émile Zola, alors chroniqueur parlementaire, des groupes se forment sur les grandes voies et une partie de la population salue les libérateurs, notamment sur les grands boulevards où de nombreux Parisiens hostiles à la Commune laissent éclater leur joie[13].

Le Comité de salut public dépêche un observateur qui est fait prisonnier par les Versaillais, qui occupent Auteuil et Passy. Ils fouillent systématiquement les maisons[14], procèdent sur dénonciation[15] à des arrestations et commencent à fusiller les Gardes nationaux du secteur[16] conduits au cimetière de Longchamp, à la lisière du bois de Boulogne dominant l'hippodrome. Femmes, enfants, malades, vieillards sont assassinés dans les hôpitaux[17].

Au même moment se déroule la dernière réunion du Conseil de la Commune. En fin de soirée, un concert a lieu au Louvre au bénéfice des « veuves et orphelins ».

Lundi modifier

Au matin, les Versaillais occupent les 15e et 16e arrondissements, les portes d'Auteuil, de Passy, de Sèvres et de Versailles.

Ils installent de l'artillerie sur la colline de Chaillot et à l'Étoile. Le reste de Paris apprend enfin la nouvelle par une affiche signée de Charles Delescluze, délégué à La Guerre. À la suite de cette proclamation, une grande partie des combattants de la Commune se replient alors dans leur quartier pour le défendre, abandonnant toute lutte coordonnée. Des barricades sont édifiées au square Saint-Jacques, dans les rues Auber, de Châteaudun, du Faubourg Montmartre, de Notre-Dame de Lorette, à la Trinité, à La Chapelle, à la Bastille, aux Buttes Chaumont, au boulevard Saint-Michel, au Panthéon

Des combats ont lieu place de Clichy et aux Batignolles. Les Allemands autorisent les Versaillais à traverser la zone neutre au nord de Paris, ce qui leur permet de prendre les Batignolles à revers.

En fin de journée, les Versaillais occupent l'Élysée, la gare Saint-Lazare, l'École militaire, où sont stationnés les canons de la Commune.

Leur progression est lente, dans ces quartiers qui leur sont acquis, car il semble que les officiers freinent leurs soldats pour faire monter la tension et pour procéder à des exécutions sommaires[réf. nécessaire], en particulier dans la caserne de la rue de Babylone.

Mardi modifier

Le Comité de salut public et le Comité central de la Garde nationale font placarder, à l'intention des soldats versaillais, des appels à la fraternisation. En vain[réf. nécessaire]. Les hostilités cessent aux Batignolles malgré les efforts des troupes commandées par Benoît Malon et la butte Montmartre tombe pratiquement sans combat du fait de la désorganisation. Selon Lissagaray, quarante-deux hommes, trois femmes et quatre enfants ramassés au hasard sont conduits au no 6 de la rue des Rosiers, contraints de fléchir les genoux, tête nue, devant le mur au pied duquel les généraux ont été exécutés le 18 mars, puis ils sont fusillés. Dombrowski est tué rue Myrha. La résistance persiste à la Butte-aux-Cailles (avec Walery Wroblewski), au Panthéon (avec Lisbonne), dans les rues de l'Université, Saint-Dominique, Vavin, de Rennes et à la gare de l'Est. Les Versaillais occupent l'Opéra, le faubourg Montmartre et la Concorde, ils atteignent l'Observatoire et procèdent à des exécutions massives à Montmartre, au parc Monceau et à la Madeleine. C’est le début des grands incendies qui vont ravager de nombreux monuments parisiens.

Mercredi modifier

Les incendies du 23 se poursuivent, y compris des immeubles d'habitation rue de Lille, Saint-Sulpice et du Bac. Les dirigeants communards évacuent et font incendier volontairement l'hôtel de ville, la préfecture de police et le palais de justice. Les Versaillais occupent la Banque de France, le Palais-Royal, le Louvre, la rue d'Assas et Notre-Dame des Champs. Le Quartier latin est attaqué ; il est occupé le soir et ses défenseurs (près de 700) sont exécutés rue Saint-Jacques. La poudrière du Luxembourg saute. À 12 h 30, le docteur Faneau, à la tête de l'ambulance établie au séminaire Saint-Sulpice, est passé par les armes avec 80 fédérés blessés.

À la prison de la Roquette, les communards exécutent l'archevêque de Paris Georges Darboy et cinq autres otages (dont le président Bonjean qui s'était illustré lors de la répression anti-populaire de ). La mort de l'archevêque, qui avait tenté de faciliter l'échange d'Auguste Blanqui contre des prisonniers fédérés, ôte le dernier espoir d'arrêter l'effusion de sang. Les communards ne tiennent plus que les 9e, 12e, 19e et 20e arrondissements, plus quelques îlots dans les 3e, 5e et 13e (bataille de la Butte-aux-Cailles).

Jeudi modifier

Exécution des dominicains d'Arcueil. Photomontage d'Ernest Eugène Appert issu de sa série les Crimes de la Commune.

Combats acharnés à la Butte-aux-Cailles, où résiste Wroblewski, et place du Château d'Eau, où Charles Delescluze, délégué à la Guerre de la Commune, est tué.

Les cinq dominicains d'Arcueil et neuf de leurs employés sont soupçonnés de travailler pour « Versailles » et d'avoir mis le feu au siège de l'état-major du 101e bataillon proche de leur école. Le , ils sont arrêtés, incarcérés au fort de Bicêtre, puis transférés le lors de l'évacuation vers Paris et abattus le même jour après une certaine confusion dans la prison du secteur, 38 avenue d'Italie.

Vendredi modifier

Exécution des otages, prison de la Roquette. Photomontage d'Eugène Appert, Crimes de la Commune.

Épisode de la « villa des Otages », rue Haxo : cinquante personnes détenues à la prison de la Roquette (onze prêtres — parmi lesquels Pierre Olivaint —, trente-six gardes ou gendarmes versaillais et quatre civils travaillant ou manipulés par la police) ont été transférées de la prison de la Roquette à la limite des fortifications, au 85 rue Haxo[18]. À cet endroit, ces personnes ont été fusillées par un peloton d'exécution, avec l'approbation de la population présente. D'après le livre de souvenirs de Maxime Vuillaume, Mes Cahiers Rouges au temps de la Commune, une autre personne est décédée à cet endroit (la plaque commémorative mentionne d'ailleurs cinquante-deux victimes). Ultérieurement, l'église Notre-Dame-des-Otages a été construite à cet emplacement au 85 de la rue Haxo.

Le député de la Seine Jean-Baptiste Millière, homonyme d'un colonel de la garde nationale de Paris, est arrêté par les Versaillais et exécuté sommairement sur les marches du Panthéon.

Le faubourg Saint-Antoine est contrôlé par les Versaillais.

Les émigrés polonais Adolf Rozwadowski et Michał Szweycer sont exécutés pour avoir hébergé des communards ; l'exécution est qualifiée de « l'une des plus horribles » par Ladislas Mickiewicz.

Les communards ne tiennent plus qu'un « quadrilatère » : canal de l'Ourcq, bassin de la Villette, canal Saint-Martin, boulevard Richard-Lenoir, rue du Faubourg-Saint-Antoine et porte de Vincennes.

Samedi modifier

Au cimetière du Père-Lachaise, on combat à l'arme blanche entre les tombes. 147 communards sont fusillés au mur des Fédérés.

C'est le lieu habituel de la commémoration de la Commune. Pendant la nuit, les artilleurs versaillais tirent pour tenter d'incendier Belleville.

Dimanche modifier

Les combats se poursuivent dans Belleville.

En début d'après-midi, les Versaillais prennent la dernière barricade des communards, dont l'emplacement reste incertain. Elle est commémorée par une plaque rue de la Fontaine-au-Roi dans le 11e arrondissement mais, dans ses mémoires, Gaston Da Costa précise que la dernière barricade à tomber est, non loin de là, celle du faubourg du Temple, à la limite entre le 10e et le 11e[19].

Une plaque commémorative des derniers combats a été posée le sur l'immeuble du 17, rue de la Fontaine-au-Roi, dans le 11e arrondissement.

Un bas-relief et une autre plaque commémorative des derniers combats de la Commune se trouvent également à la jonction des rues de la Ferme-de-Savy et Jouye-Rouve, dans une entrée du parc de Belleville.

Une plaque, visible au 1 bis rue de la Solidarité dans le 19e arrondissement et signalée par L'Aurore du , rend hommage à ceux qui sont morts au combat dans le quartier des Carrières d'Amérique ou qui y ont ensuite été exécutés sommairement, ainsi qu'à ceux dont les corps y ont plus tard été jetés.

Mort d'Eugène Varlin, membre de l'Internationale, fusillé à Montmartre, au même endroit que les généraux Lecomte et Thomas fusillés le .

Lundi modifier

Le fort de Vincennes encerclé par les Allemands se rend. Les neuf officiers de la garnison sont fusillés dans les fossés près de l'endroit où fut exécuté le duc d'Enghien, prince de Bourbon, capturé outre-Rhin (affaire du duc d'Enghien).

L'un d'eux, le colonel Delorme, se tourna vers le Versaillais qui commandait et lui dit : « Tâtez mon pouls, voyez si j'ai peur ».

Bilan humain modifier

Bilans de la fin du XIXe siècle modifier

La répression de l'insurrection parisienne du a été particulièrement bien organisée par le gouvernement de Thiers. L'état de siège a été décrété et Paris divisé en quatre secteurs militaires. Si les soldats de première ligne sont chargés de faire le coup de feu contre les communards, les soldats de la deuxième ligne sont chargés de traquer ceux qui ne se rendent pas. Ils peuvent perquisitionner dans les maisons, les parcs et même les catacombes. Les « brassardiers », Parisiens partisans du gouvernement de Versailles munis d'un brassard, qui connaissent bien leurs quartiers, les aident. On assiste alors à de nombreuses dénonciations, près de 400 000, dont seulement cinq pour cent sont signées.

Cadavres de communards, photographie attribuée à Disdéri.

Des cours prévôtales, qui sont chargées de donner un semblant de légitimité aux exécutions sommaires, sont installées à l'École polytechnique, à la gare du Nord, à la gare de l'Est, au Châtelet et au Luxembourg. Des pelotons d'exécution fonctionnent, avec le système des « fournées », square Montholon, au parc Monceau, à l'École militaire, au cimetière du Montparnasse et en particulier à la caserne Lobau. En 1897, un charnier de huit cents communards est découvert dans le quartier de Charonne. Pour gagner du temps, on se servait de mitrailleuses[20].

La plupart des prisonniers sont acheminés vers Versailles pour être internés au camp de Satory. Durant le voyage, il y a des exécutions : le , le journaliste du Times raconte que, devant lui, le général de Galliffet fait abattre 83 hommes et 12 femmes. Selon Lissagaray, durant le trajet, les prisonniers sont injuriés et battus par des habitants des environs, sans que les soldats escorteurs n'interviennent[21].

Le bilan officiel, rapporté par le général Appert devant l'Assemblée nationale en 1875, fait état de 43 522 arrestations, dont 819 femmes et 538 enfants, on en relâche près de 7 700 qui avaient été arrêtés par erreur. Au camp de Satory, le calvaire continue : aucune hygiène, peu de soins pour les blessés, les épidémies se développent. On abat 300 prisonniers pour tentative de fuite dans la nuit du au .

Des prisonniers fédérés furent transférés dans les pontons et ports de l'ouest de la France ; à Brest, Lorient, Cherbourg et Rochefort. Ces transferts eurent lieu dans des wagons à bestiaux dans des conditions sanitaires volontairement déplorables. Environ 20 000 y furent détenus pendant plusieurs mois, au moins 1 000 y moururent[22].

En face, l'armée versaillaise dénombre officiellement 877 tués, 6 454 blessés et 183 disparus pour l'ensemble des combats livrés contre les communards[23],[24]. Selon Robert Tombs, pour la période spécifique de la Semaine sanglante, le bilan est d'environ quatre cents soldats et officiers tués et trois mille blessés, dont mille sérieusement, soit environ cinq cents morts ou blessés par jour[4]. Neuf cents barricades ont été emportées mais seules une centaine étaient sérieusement défendues[4].

Environ 50 à 100 otages[5],[6] ont également été fusillés par les communards, principalement le [5].

Le bilan humain des victimes communardes fait quant à lui l'objet de débats et de controverses[25]. En 1876, le journaliste socialiste Prosper-Olivier Lissagaray, ancien communard, rapporte que le conseil municipal de la ville de Paris paye l'inhumation de 17 000 cadavres. En prenant en compte les tués hors de Paris, il estime à probablement vingt mille le nombre des fusillés de la semaine sanglante[26], sans compter trois mille fédérés tués ou blessés au combat[27],[25]. En 1880, le journaliste et homme politique Camille Pelletan, membre du Parti radical-socialiste, élève le nombre des victimes à trente mille[28],[25]. Ce nombre est ensuite abondamment repris par les différents auteurs du XIXe et du XXe siècle[25]. En 2021, l'historien Éric Fournier indique cependant que ce bilan a un double niveau de lecture, car Camille Pelletan cherche ainsi à présenter la semaine sanglante comme plus meurtrière encore que la Terreur de 1792-1794 et ainsi réhabiliter les débuts de la Première République[25].

Bilans début XXIe siècle modifier

En 2009, l'historien Jacques Rougerie estime que probablement trois à quatre mille fédérés sont morts au combat[23]. Le nombre total des victimes de la semaine sanglante ne peut être connu avec précision, mais il est d'« au minimum dix mille, probablement vingt mille, davantage peut-être »[29]. Les principaux généraux versaillais responsables des tueries sont Ernest Courtot de Cissey, Joseph Vinoy et Gaston de Galliffet, couverts, « bon gré mal gré » par Adolphe Thiers et Patrice de Mac Mahon[22],[30]. En revanche les opérations conduites par le général Justin Clinchant se font presque sans massacres[11].

Le bilan est cependant progressivement revu à la baisse par l'historien britannique Robert Tombs. En 1994, il estime le nombre de victimes de la semaine sanglante à dix mille[31]. Tout en insistant sur la difficulté de déterminer un tel bilan, il souligne alors que ce nombre plus faible que des estimations « habituelles » invalide la thèse selon laquelle les exécutions auraient été dues au déchainement spontanée et indistinct de soldats versaillais hors de contrôle[31]. Un chiffre de cet ordre serait plus cohérent au contraire avec la thèse qu'il développe selon laquelle la semaine sanglante aurait eu le caractère d'une « purge organisée et calculée »[31]. Les exécutions auraient ainsi été conduites selon des critères issus de la représentation qu'avaient les chefs militaires versaillais de la figure de la « racaille » qu'ils considéraient comme constituant la Commune[31]. Auraient ainsi été ciblés les prisonniers porteurs des traits caractéristiques des classes populaires en tant que perçues comme des « classes dangereuses » sauvages, du monde criminel ou encore des étrangers[31]. Il conclut ainsi « qu'une très importante proportion des morts de la Semaine sanglante, voire la majorité des exécutés », ont été « les victimes de tueries organisées et quasi-légales »[31]. En 2012, Robert Tombs revoit son estimation à la baisse et donne comme fourchette 2 000 à 3 000 tués au combat ou exécutés sommairement, 1 200 à 3 000 exécutés après les combats et 1 700 à 2 800 morts des suites de leurs blessures[9]. En 2014, Robert Tombs écrit alors que : « des estimations très élevées du nombre des victimes apparaissent très tôt. Ces premières estimations ont été souvent répétées depuis les années 1870 sans examen critique, et les preuves supposées de leur exactitude s'avèrent faibles, invérifiables ou inexistantes. La plus notoire, et à première vue convaincante, est l'« aveu », de dix-sept mille fusillés fait par un général de l'armée cité par Prosper-Olivier Lissagaray, mais qui se trouve être tout au plus une estimation du nombre possible des tués et blessés insurgés pendant les deux mois de guerre civile. Il reste néanmoins que l'effusion de sang frappant les communards était effroyable »[7]. En effectuant de nouvelles recherches et en se fondant notamment sur les rapports des services de voirie sur le nombre de corps trouvés et enterrés à Paris, Robert Tombs arrive à la conclusion que probablement 5 700 à 7 400 personnes ont été tuées lors de la semaine sanglante[7],[9],[32], dont environ 1 400 fusillées après les combats[10].

Selon l'historien Quentin Deluermoz, qui cite en exemple la Terreur, la guerre de Vendée, la bataille de Montréjeau, la Révolution de Juillet et les Journées de Juin, « la révision à la baisse » des victimes de la semaine sanglante « s'inscrit en fait dans une tendance historiographique concernant les grands massacres du XIXe siècle »[25].

En 2021, l'écrivaine et mathématicienne Michèle Audin publie La Semaine sanglante : Mai 1871 légendes et comptes dans lequel elle présente et analyse les documents qu'elle a pu consulter pour établir un bilan de la semaine sanglante dont un certain nombre n'a jamais été pris en compte dans les évaluations précédentes : les registres des cimetières, les dépôts d'archives (dont les comptes d'une entreprise de pompes funèbres), la presse, les correspondances privées, les rapports officiels. Elle compare les chiffres avancés par ses prédécesseurs (Lissagaray, Pelletan, Du Camp et, plus récemment, Tombs, qu'elle remet en cause)[33]. Elle estime qu'arrêter le décompte des morts de la semaine sanglante au ne prend pas en compte les exécutions qui se poursuivent jusqu'à mi-juin[33]. Elle soulève également les difficultés liées aux nombreuses exhumations-réinhumations des mois qui suivent la Commune, aux dénombrements parfois très vagues qui peuvent dans certains cas donner un ordre de grandeur plus qu'un chiffre réel[33]. Elle interroge les silences des documents administratifs : le registre du Père-Lachaise est interrompu pendant plus de 15 jours, passant sous silence la période la plus trouble, certains actes de décès comportent des incohérences manifestes (dates, causes)[33]. Elle tente d'éviter les doubles comptages. Elle ajoute également au décompte les morts enterrés à la va-vite sous les pavés et qui ne seront exhumés qu'au fur-et-à-mesure des travaux de voirie jusqu'en 1920[33]. Avec beaucoup de précautions, elle arrive au total de « certainement 15 000 morts »[33].

En 2021, l'historien Jacques Rougerie révise son bilan. Il considère que Robert Tombs néglige les inhumations sauvages, mais que le bilan de près de 30 000 morts donné par Camille Pelletan est « incontestablement une estimation excessive »[8]. Jacques Rougerie conclut qu'un bilan de 10 000 victimes semble le plus plausible et « reste énorme pour l'époque »[8].

Notes et références modifier

  1. a et b Tombs 2014, p. 295.
  2. a et b Rougerie 2021, p. 113.
  3. a b c d e et f Tombs 2014, p. 280-281.
  4. a b c d e et f Tombs 2014, p. 303.
  5. a b et c Tombs 2014, p. 316.
  6. a et b Rougerie 2009, p. 108.
  7. a b c d et e Tombs 2014, p. 317-318.
  8. a b et c Rougerie 2021, p. 116.
  9. a b et c H-France Salon, How bloody was la "Semaine Sanglante"? A revision. Robert Tombs, St John’s College, Cambridge.
  10. a et b Tombs 2014, p. 314.
  11. a et b Rougerie 2021, p. 117.
  12. « La Barricade », notice sur le site de la Galerie nationale d'Écosse.
  13. Zola 2018, p. 248.
  14. Pierre Cabanne, Paris vous regarde, Paris, P. Bordas, , 627 p. (ISBN 978-2-86311-150-5, lire en ligne), p. 588.
  15. Roger Pérennès et Frank Chantepie, Déportés et forçats de la Commune : de Belleville à Nouméa, Paris, Ouest Éditions, , 580 p. (ISBN 978-2-908261-80-6, lire en ligne), p. 40.
  16. Maxime Vuillaume, La Semaine sanglante, Paris, La Palatine, , 174 p. (lire en ligne), p. 271.
  17. Alain Bauer et Christophe Soullez, Une histoire criminelle de la France, Paris, Éditions Odile Jacob, , 368 p. (ISBN 978-2-7381-8008-7, lire en ligne), p. 94.
  18. Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Éditions de Minuit, 1963 et rééd.
  19. Gaston Da Costa, Mémoires d'un Communard, p. 278.
  20. La Semaine littéraire, vol. 17, Paris, (lire en ligne), p. 263.
  21. Lissagaray 2004 : « Les prisonniers amenés à Versailles furent assaillis par cette tourbe qui accourait à tous les convois couvrir de coups et de crachats les défenseurs de Paris »
  22. a et b Rougerie 2009, p. 114.
  23. a et b Rougerie 2009, p. 107.
  24. 900 morts selon Michaël Bourlet, « L’Armée de Versailles pendant la semaine sanglante et les combats de rues (-) », Revue historique des armées, no 238,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  25. a b c d e et f Chloé Leprince, « La Commune de Paris, plus grand martyre de civils d'Europe ? Idée reçue n°3 », sur France Culture, .
  26. Lissagaray 2004, p. 391-394.
  27. Lissagaray 2004, p. 381.
  28. Camille Pelletan, La Semaine de Mai, Paris, Maurice Dreyfous, , 412 p. (lire en ligne), p. 396.
  29. Rougerie 2009, p. 113.
  30. Rougerie 2021, p. 116-117.
  31. a b c d e et f Robert Tombs, « Victimes et bourreaux de la semaine sanglante », Revue d'histoire du XIXe siècle, no 10,‎ (ISSN 1265-1354 et 1777-5329, DOI 10.4000/rh19.78, lire en ligne, consulté le )
  32. H-France Salon, Commentaire de Quentin Deluermoz, Université Paris 13/Nord.
  33. a b c d e et f Jean-Luc Porquet, « Halte-là, citoyen ; on ne passe pas », Le Canard enchaîné,‎ .

Voir aussi modifier

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Bibliographie modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier