Discours de Fulton

portée historique

Le discours de Fulton a été prononcé par l'ex-Premier ministre britannique Winston Churchill à l'université de Westminster (en) de Fulton (Missouri) aux États-Unis le en présence du président américain Harry Truman. Il porte sur la nécessité d'une alliance entre Britanniques et Américains, ainsi que sur l'urgence de négociations pour prévenir la guerre et la tyrannie qu'engendrerait une poursuite de l'expansionnisme soviétique.

Comme le note le diplomate George Kennan[1], ce discours d'environ quarante-cinq minutes témoigne de l'éloquence et du lyrisme de Winston Churchill, qui sera lauréat du prix Nobel de littérature en 1953.

S'exprimant en son nom personnel, Churchill estime de son devoir d'attirer l'« attention sur l’ombre qui, à l’ouest comme à l’est, tombe sur le monde ». Il ne croit pas « que la Russie soviétique désire la guerre », mais considérant que « personne ne sait ce que la Russie soviétique et son organisation communiste internationale ont l’intention de faire dans l’avenir immédiat, ni où sont les limites, s’il en existe, de leurs tendances expansionnistes et de leur prosélytisme »[Note 1], il juge indispensable que les « démocraties occidentales s’unissent dans le strict respect des principes de la Charte des Nations Unies ».

Moins d'un an après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce discours traduit la dégradation des relations entre les anciens alliés. Il fait date en raison du prestige immense de Winston Churchill et de l'emploi d'expressions fortes qui seront largement utilisées pendant toute la Guerre froide, comme « rideau de fer » et « monde démocratique libre » pour parler des démocraties occidentales, par opposition aux systèmes totalitaires.

Les États-Unis n'apportent pas leur soutien officiel aux propositions de Churchill, bien qu'ils partagent ses inquiétudes quant à l'évolution de la relation avec l'Union soviétique[2]. Un an plus tard, Truman fera sienne une politique d'endiguement du communisme.

Dans un entretien publié dans la Pravda, Staline répond à Churchill qu'il accuse d'être un « fauteur de guerre » pour qui « au nom d'une théorie raciale anglaise (...) les nations de langue anglaise, en tant que seules « véritables », doivent régner sur les autres nations du monde »[3].

Résumé modifier

Dans son discours[4],[5], Churchill considère que les États-Unis sont à l’apogée de leur puissance et qu'il faut saisir cette occasion pour prévenir la guerre et la tyrannie qui sont les deux dangers principaux qui menacent le monde. Contre la tyrannie, les États-Unis et l’Empire britannique ne doivent cesser de proclamer les grands principes de liberté et de droits de l’homme. Tout pays doit pouvoir tenir des élections démocratiques et disposer d’une justice indépendante.

Churchill insiste sur le rôle important que les Nations Unies doivent jouer dans la préservation de la paix mondiale. Afin d'en renforcer la capacité d'action, il recommande la création de forces armées pouvant agir au nom de l'organisation mondiale. Cette idée verra le jour avec la création des « casques bleus » quelques années plus tard.

« L’organisation des Nations unies doit être équipée dès maintenant d’une force armée internationale. Nous ne pouvons avancer ici qu’à petits pas mais nous devons commencer tout de suite[Note 2]. »

Churchill s'oppose cependant à la diffusion du secret de fabrication de la bombe atomique à une organisation mondiale encore balbutiante :

« Il serait cependant erroné et imprudent de confier le secret de la connaissance ou des expériences de la bombe atomique, que partagent désormais les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada, à une organisation mondiale qui vient à peine de voir le jour. Ce serait folie criminelle que de le laisser sans protection dans ce monde toujours agité et désuni. Nulle part n'a-t-on vu quelqu'un perdre le sommeil de savoir que cette connaissance ainsi que la méthode et les matières premières nécessaires se trouvent aujourd'hui essentiellement entre les mains de l'Amérique. Je ne pense pas que nous aurions tous dormi si tranquillement si la situation avait été inversée et qu'un État communiste ou néo-fasciste détenait actuellement le monopole de ces porteurs de terreur. Ils inspirent une telle peur qu'elle aurait suffi à imposer des systèmes totalitaires sur le monde démocratique libre, avec les conséquences effrayantes qu'on peut imaginer[Note 3]. »

Pour lutter contre les deux grands dangers qui menacent les populations, la guerre et la tyrannie, Churchill estime nécessaire de continuer de développer une relation spéciale entre Britanniques et Américains : amitié mais aussi alliance militaire pour contrer les intentions de la Russie soviétique et ses tendances expansionnistes et prosélytes.

« Ni la prévention certaine d’une guerre, ni la montée continue de l’organisation mondiale ne seront acquises sans ce que j’ai appelé l’association fraternelle des peuples anglophones. Cela implique une relation particulière entre le Commonwealth et l’Empire britanniques d’une part et les États-Unis d’autre part. »

Dans la seconde moitié de son discours, Churchill en vient à parler explicitement de l'Union soviétique. Après avoir légitimé les impératifs de sécurité de la Russie et sa place au milieu des nations dirigeantes du monde, Churchill dénonce le rideau de fer qui sépare l'Europe de l'Ouest de l'Europe centrale et orientale.

« De Stettin[6] sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États d'Europe centrale et orientale. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia, toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent se trouvent désormais dans ce que je dois appeler la sphère soviétique, et sont toutes soumises, sous une forme ou sous une autre, non seulement à l'influence soviétique, mais aussi à un degré très élevé et, dans beaucoup de cas, à un degré croissant, au contrôle de Moscou[Note 4]. »

Puis Churchill relève « que les partis communistes, qui étaient très faibles dans tous ces États de l’Est européen, (...) cherchent partout à accéder à un contrôle totalitaire. Des gouvernements policiers dominent dans presque tous les cas et, jusqu’à présent, à l’exception de la Tchécoslovaquie[Note 5], il n’y a pas de vraie démocratie[Note 6]. » Il décrit ensuite les dangers que le communisme fait peser partout dans le monde sur la « civilisation chrétienne. »

Articles connexes modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Texte original en anglais : A shadow has fallen upon the scenes so lately lighted by the Allied victory. (...). Nobody knows what Soviet Russia and its Communist international organisation intends to do in the immediate future, or what are the limits, if any, to their expansive and proselytising tendances"
  2. Texte original en anglais : The United Nations Organization must immediately begin to be equipped with an international armed force. In such a matter we can only go step by step, but we must begin now.
  3. Texte original en anglais : It would nevertheless be wrong and imprudent to entrust the secret knowledge or experience of the atomic bomb, which the United States, Great Britain and Canada now share, to the world organisation, while it is still in its infancy. It would be criminal madness to cast it adrift in this still agitated and un-united world. No one in any country has slept less well in their beds because this knowledge and the method and the raw materials to apply it, are at present largely retained in American hands. I do not believe we should all have slept so soundly had the positions been reversed and if some Communist or neo-Fascist State monopolised for the time being these dread agencies. The fear of them alone might easily have been used to enforce totalitarian systems upon the free democratic world, with consequences appalling to human imagination.
  4. Texte original en anglais : From Stettin in the Baltic to Trieste in the Adriatic an iron curtain has descended across the Continent. Behind that line lie all the capitals of the ancient states of Central and Eastern Europe. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia; all these famous cities and the populations around them lie in what I must call the Soviet sphere, and all are subject, in one form or another, not only to Soviet influence but to a very high and in some cases increasing measure of control from Moscow.
  5. La Tchécoslovaquie passera à son tour sous le contrôle complet du Parti communiste lors du Coup de Prague de février 1948
  6. Texte original en anglais : The Communist parties, which were very small in all these Eastern States of Europe, have been raised to pre-eminence and power far beyond their numbers and are seeking everywhere to obtain totalitarian control. Police governments are prevailing in nearly every case, and so far, except in Czechoslovakia, there is no true democracy.

Références modifier

  1. (en) « Telegram, George Kennan to James Byrnes, March 11, 1946 », sur U.S. Presidents / Truman library, Site
  2. (en) « Harry Truman's Press Conference, March 8, 1946 », sur U.S. Presidents / The American Presidency Project, Site
  3. (fr) Joseph Staline, « Entretien accordé par Joseph Staline au correspondant de la Pravda en réponse au discours de Churchill », sur CVCE - Centre Virtuel de la Connaissance sur l'Europe, Site
  4. (en) « Address given by Winston Churchill (Fulton, 5 March 1946) (Texte original en anglais) », sur CVCE - Centre Virtuel de la Connaissance sur l'Europe, Site
  5. (fr) « Discours de Winston Churchill (Fulton, 5 mars 1946) (Traduction française figurant sur le site CVCE) », sur CVCE - Centre Virtuel de la Connaissance sur l'Europe, Site
  6. Stettin (Szczecin), port polonais proche de la frontière allemande, ne se situait cependant pas sur le rideau de fer. Ce dernier ne séparait pas la Pologne de l'Allemagne, mais passait 200 kilomètres plus à l'Ouest et scindait l'Allemagne en deux. Plutôt que Stettin, il aurait été plus correct de parler de Lübeck...

Liens externes modifier